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recueils de poésie contemporaine

 

"Les tiroirs parlent-ils ?" recueil publié en 2008

 

Marisa Castro

 

Une femme à tiroirs

 

 

"Est-ce qu'on peut entrer, toujours, n'importe où être dans le dedans de cet endroit, même s'il n'est pas sûr qu'il y ait un dedans, tu entres..." (1) Et la voilà dans sa cachette, son nid d'étoiles, son île au trésor, stupéfiée devant tant d'imprévu et de découverte. Qu'a-t-elle déposé ici ? Quelles feuilles de vie qu'elle croyait depuis longtemps archivées, classées, oubliées ? Quelles tranches d'existence qui restaient en attente de tri, d'analyse, de traitement ? Pourquoi les tiroirs -en grinçant - s'étaient-ils si vite refermés ? Et pour étouffer quelles peurs ? Quels haut-le-cœur ? S'était-elle blessé le bout des doigts en les repoussant, le bout des yeux en les remisant ? Et où avait-elle - seule - dissimulé "la clef de cette parade sauvage" (2) ?

 

 

 

"Qui veut savoir ? Et pour savoir quoi ?" Parce que, elle - Marisa Castro - veut savoir, elle recompte les cailloux d'un Petit Poucet, elle fouille les réserves de l'enfant écureuil, elle retrace les chemins de la femme fleur. Elle défroisse ses papiers bonbons, elle dénoue ses papiers collés. Et la lumière d'une mémoire à vif écorce tout l'empire de ses sens. Rien ne manque à l'état de ses lieux : du grain des étoffes, du velouté des rubans, du parfum des lettres, du tourbillon des trèfles séchés. Il suffit juste de tirer la langue rose d'un fermoir pour que des présences obnubilées soient aussitôt déliées et ramenées en surface. Il suffit juste de tirer le portrait d'un diable dans sa boîte pour que les mots qu'elle croyait amuïs, épuisés, se remettent à respirer et à croire, à s'épancher et à vouloir.

 

 

 

"Objets inanimés avez-vous donc une âme ?" (3) Pour sûr, les tiroirs parlent. Ils s'animent. Elle les anime. les réanime. Elle les câlinent et les désarment, les cajolent et les déminent. Que veulent-ils maintenant annoncer qu'ils ne savaient pas ? Que désirent-ils aujourd'hui avouer qu'ils ne pouvaient pas ? Que ne peuvent-ils désormais taire davantage, ces tiroirs, bouche à bouche ? Et la voici à la recherche de son temps perdu, car "chaque nœud du bois renferme davantage de cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt" (4). Elle écoute l'une et l'autre parole délivrée, ravivée, de ces tiroirs qu'elle ouvre, qu'elle époussette et ordonne. Elle les fait reluire à l'envi, tous ces tiroirs d'un temps figé "horloges envolées", "montres du temps", "pas de pendules".

 

 

 

Et bientôt elle perçoit un doux chuchotis de " chaudes lèvres boisées", celles de "la femme aux tiroirs " de Dali, celles - les mêmes - de Gala dans "l'union libre" (5). Union de la sensualité, de la force et du frisson des couleurs qu'elle re-visite (gris, blanc, bleu, vermillon) ou se re-crée (merle). Union des quatre éléments enfouis au dedans de " tiroirs à cordes ", de "tiroirs lustrés à la cire" qu'elle dé-vide et dé-range. Gala de niveau de feu " aux pensées d'éclairs de chaleur" (6) : ce tiroir des battements de cœurs " couchés ", de cœurs "embrasés". Gala de niveau d'eau "pour boire en prison" (7) : ce "tiroir discret et friable" qui murmure "la peau huilée", "la sève de leur intimité". Gala de niveau d'air "au dos d'oiseau qui fuit vertical" (8) : ce tiroir des friselis du vent "stabilisateur d'ivresse", "larme du ciel ne touchant jamais le sol". Gala de niveau de terre "bouquet d'étoiles de dernière grandeur" (9) : ce "tiroir oubliette" qui appelle au secours et "serre les dents" tant il a froid à sa solitude et pour lequel "la patience compte le temps".

 

 

 

Et elle instille à cette harmonie tout un "méli-mélo" que l'aventure humaine apprécie qu'on lui destine. Aussi beaucoup d'accents espiègles qui font que l'on approche de la fête et de ses éclats de fous rire. Des mots - à califourchon sur les Pyrénées - pour aérer la mémoire et balayer les regrets. Des mots - miroir et reflets - qui demandent qu'on les aime d'avoir osé et de s'être ici révélés. Des mots - voyage et vertige - qui dévoilent toute une "pluie de papillons". Des mots d' "amour fraise", et de "gouttes de mer". Des mots souvent surpris et toujours étonnés devant la vie et la beauté à offrir. Un grande liberté de ton, sans camouflage, et beaucoup de titillement et d'audace "chercheuse de pépin". A tire-d'aile ! A tiroir vole ! A tire lire ! A tiroir volte !

 

 

 

Femme enfant, femme plume, femme flamme, femme clématite, femme poème, telle est Marisa Castro avec ses tiroirs versoir, ses tiroirs sautoir, ses tiroirs bonsoir, ses tiroirs espoir. Une rêverie vitale, fiable et chaude dans des "tiroirs d'étoiles", des "tiroirs de poésie", Des mots lissés qui ont trouvé leur voix. Une belle voix toute bruissante de colliers et de cailloux bleus qui esquissent l'autoportrait intime d'une femme secrète. Fatalement.

 

 

 

"Si je n'écris pas aujourd'hui, en saurai-je davantage ?" (10). Alors - vite - que l'écriture se prolonge à d'autres tiroirs... "Pour que les virgules inscrivent le merci" (11).

 

                                                                         

​ Christian Le Roy - 25 avril 2008 -

 

(1) Guillevic

(2) Arthur Rimbaud

(3) Alphonse de Lamartine

(4) René Guy Cadou

(5) André Breton

(6) André Breton

(7) André Breton

(8) André Breton

(9) André Breton

(10) Guillevic

(11) Chantal Lammertyn

" Les tiroirs parlent-ils ? "

 

Extrait de la préface du recueil de poèmes "Ecorce d'orage" publié en 2009

Le recueil de Marisa Castro porte le cri de désespérance de "l'amour fou", le cri de colère de "l'amour sorcier" [...] C'est une oeuvre au noir, un travail vers le silence de l'autre [...] Marisa Castro s'écrie "d'un pays sous l'écorce" - Andalousie ou "chair rouge de Corse" [...] Dans un ciel tourmenté de nuées à la Goya, elle annonce "le reflet volcan", des "orages nervurés de rubis".

 

 

Christian Le Roy

" Ecorce d'orage "

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